La Maison Caran D'Ache
Notre nouveau récit commence en 1915, en Suisse, durant la Première Guerre mondiale, dans la ville qui a vu naître le calvinisme (la Réforme protestante) : Genève. En cette année 1915, la guerre a déjà commencé, déclenchée par l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand. Bien que la Suisse ne soit pas impliquée directement dans le conflit, elle en subit les conséquences.
Dans ce contexte tendu, un petit groupe d'hommes a une idée ambitieuse : ouvrir une fabrique de crayons à Genève, sous le nom de Fabrique Genevoise de Crayon S.A. Leurs noms sont Édouard Paisant, Albert Duret, Paul Raymond, Joseph Eggermann et Gustave Reverdin. Les trois premiers seront les principaux instigateurs de la suite de notre histoire, avec chacun sa spécialité. Tout d'abord, Paul Raymond sera le directeur administratif de l'entreprise, chargé de la gestion quotidienne. Ensuite, Albert Duret sera le chimiste de la fabrique, responsable de trouver la bonne recette pour la mine de crayon. Et pour finir, Édouard Paisant est le directeur du conseil d'administration et apporte à l'entreprise une certaine légitimité, car il appartient à une famille d'industriels vendant des tissus depuis 1865.
L'entreprise est officiellement fondée le 10 décembre 1915. Une fois les démarches administratives achevées, il faudra encore de nombreux mois avant que les premiers produits soient vendus aux premiers clients.
En effet, à cause du climat politique ambiant, les pays en guerre ont mis en place des restrictions concernant les exportations, dont la Suisse qui, bien que pays politiquement neutre durant la guerre de 14-18, subit ces mesures de plein fouet. Les entreprises suisses qui, par exemple, achètent des matières premières en Allemagne pourraient ensuite les revendre à la France. Ce qui, en temps de guerre, est très problématique : une des clés de voûte de toute armée est la logistique, et notamment l'approvisionnement. Ne pas mettre de restrictions consisterait, pour les nations en guerre, à se tirer une balle dans le pied et à renforcer l'ennemi. En plus des mesures très contraignantes pour les exportations, de nombreux produits sont également réquisitionnés pour l'effort de guerre afin d'alimenter le front en munitions, armes, vivres, etc.
Les conséquences pour notre firme genevoise sont sans appel : un retard de plusieurs mois pour les machines commandées pour l'usine, des difficultés accrues pour trouver des matières premières, dont les prix s'envolent à cause de l'offre bien inférieure à la demande. Malheureusement, la fabrique de crayons genevoise boucle son premier exercice comptable (1916) sans avoir produit le moindre crayon.
Cependant, au cours de l'année 1916, de nombreux pays européens (France, Espagne, etc.), étant en pénurie de crayons, ont passé commande auprès de la firme genevoise. Pourquoi la firme n'a-t-elle pas encore livré le moindre crayon ?
Cela s'explique très simplement : tout d'abord, l'outil de production n'était pas encore prêt pour lancer la production à cause d'un retard de livraison ; ensuite, le chimiste de notre trio n'a pas encore trouvé la bonne recette pour produire des mines de crayons à la hauteur des standards du marché. Cette inaptitude à trouver la bonne formule aura raison d'Albert Duret, qui sera remercié au cours de l'année 1917, mais restera tout de même actionnaire.
Le bilan de cette deuxième année d'exploitation est de loin peu positif. Tout d'abord, malgré des premières ventes, les mines de crayons sont de qualité médiocre, mais surtout, l'entreprise est en déficit à cause de l'augmentation du prix des matières premières, qui cause une baisse de la marge sur les ventes, mais aussi un carnet de commandes bien moins rempli que prévu.
Les années qui suivent ne seront toujours pas à la hauteur des espérances. En effet, dès la fin de l'année 1917, la compagnie se trouve en déficit, ce qui obligera les actionnaires à régulièrement remettre la main à la poche pour continuer l'aventure.
Lors de la réunion exceptionnelle des actionnaires du 5 octobre 1920, il est décidé de poursuivre les activités sous un nouveau nom : Crayon Écridor S.A. De plus, la direction est remaniée : le duo original démissionne, mais reste toujours actionnaire. C'est donc maintenant une entreprise avec un conseil d'administration à sa tête, sans un seul membre du trio à l'origine du projet.
Les nouveaux administrateurs essayeront jusqu'en 1923 de remettre l'entreprise à flot. Cependant, malgré tous les efforts entrepris, l'entreprise Crayon Écridor S.A. déposera le bilan le 23 novembre 1923. Heureusement, Arnold Schweitzer rachètera l'entreprise, qu'il renommera Caran d'Ache, et parviendra à l'amener là où voulaient l'amener les fondateurs originaux. Aujourd'hui, les descendants de ce repreneur sont toujours propriétaires de la firme suisse, qui est désormais une référence mondiale dans le milieu de la papeterie.
En résumé, cette histoire nous montre que, déjà au siècle passé, les problèmes géopolitiques ont une influence directe sur l'approvisionnement des entreprises et donc sur l'économie mondiale — preuve d'une mondialisation déjà existante. Pour conclure, au travers de l'histoire de cette entreprise, nous pouvons nous rendre compte que la persévérance paie et que même d'un échec peut découler une réussite.
Bibliographie
- BRÜHWILER, Ralph. La saga Caran d’Ache : Le tour du monde d’un crayon genevois. Traduit de l’allemand par Patrick Vallon. Genève : Éditions Slatkine, 2024. Disponible sur : https://www.slatkine.com
- CARAN D’ACHE. Notre histoire – Un siècle de savoir-faire. Caran d’Ache, consulté en octobre 2025. Disponible sur : https://www.carandache.com/fr/fr/notre-histoire
- NUMÉRO MAGAZINE. Caran d’Ache: Swiss Iconography in a Pencil-Stroke. Numéro Magazine Switzerland, 17 septembre 2024. Disponible sur : https://numeromagazine.ch/caran-dache-swiss-iconography-in-a-pencil-stroke
- WIKIPÉDIA. Caran d’Ache (entreprise). Wikipédia, dernière modification le 20 septembre 2025. Disponible sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Caran_d%27Ache_(entreprise)
